La Barque de Blankenberge B1 Sint-Pieter



Un peu d’histoire

On ne connaît pas exactement l’origine de cette embarcation. Ce que l’on peut dire, c’est que l’on retrouve une de ses premières représentations sur un tableau de l’école de Lancelot Blondeel datant de 1550. On y voit quelques bateaux ayant des caractéristiques similaires au scute”, navigant sur l’Yser devant les remparts de la ville de Nieuport. Cependant, ces bateaux ne possédaient qu’un mât et un bout dehors qui deviendra par la suite un petit mât de misaine placé à la pointe. D’autre part ils n’étaient pas encore équipés de dérives latérales qui ne feront leur apparition, sur les côtes atlantiques et du Nord, que vers l’année 1600.

La première mention dans notre pays du mot scuta” apparaît dans une charte signée en 1163 par Philipe d’Alsace et la ville de Nieuport lors de l’inauguration du nouveau port de cette ville. On y mentionne sous le nom de scuta” le plus petit bateau taxable (1 denier). Assez curieusement, les Vikings appelaient déjà leur plus petit modèle de drakkar skuta” (16 à 28 paires de rames). Signalons également deux mots d’origine ancienne et germanique : scêot” et skjôtr” qui signifie “rapide” et la contraction de “rapide et penché”. Cela désignait-il un petit navire à voiles rapide

Au 15e siècle, la flottille de pêche de la ville de Blankenberge comprenait une dizaine de bateaux appelés haringbuize” spécialisés dans la pêche aux harengs. Au 16e siècle apparaissent les premiers scutes” tels qu’on les connaît actuellement. Leurs lignes et type de construction s’apparentent fort aux Kogge de Zélande” et au Dogger.

Blankenberge n’étant pas équipée d’un port intérieur, les marins-pêcheurs échouaient leurs embarcations sur la plage par marée haute pour y décharger le produit de la pêche. Afin de résister aux nombreux échouages et aux ressacs, il fallait que ces bateaux soient construit de manière solide et soient à fond plat. Les dimensions moyennes des scute” étaient de 11m de longueur, 5m de large, un grand creux de 3 mètres et un tirant d’eau faible de 40 cm environ.

Assez curieusement, lorsque les constructeurs amateurs de l’asbl De Scute décidèrent de reconstruire le bateau, ils ne trouvèrent, malgré des recherches poussées, aucun plan. Les charpentiers de marines travaillaient surtout au moyen de gabarits, ce qui explique sans doute, que ces bateaux n’ont pratiquement pas changé de formes au cours des siècles. Par contre un de nos collaborateurs parisiens découvris dans les archives de l’Arsenal de Cherbourg un plan de la chaloupe de Blankenberge dessiné par les ingénieurs de Napoléon. Ce dernier trouvait ce bateau parfaitement adapté au transport de troupe et de matériel en vue d’un débarquement en Angleterre.


Construction

Bateau à fond plat, le scute” n’a donc pas de quille afin de faciliter les échouages. Celle-ci est remplacée par une grosse planche de chêne d’un seul tenant, courant sur toute la longueur du bateau et sur laquelle sont fixés l’étambot et l’étrave. De multiples membrures massives, en général 22 ou 23, toujours en chêne, complètent l’ossature de la coque. Le tout étant rigidifié par la pose des bordés. La pose des bordés est très caractéristique: 9 planches de chaque côté. Les 5 premières en partant de la planche de quille sont posées à franc-bord (côte à côte) tandis que les 4 dernières sont à clin (les bords se chevauchent). Toutes ces planches sont en orme d’une épaisseur de 50 mm, d’où l’énorme difficulté de les plier aux formes très arrondies du bateau. Notons que l’orme est plus facile à cintrer que le chêne, d’où le choix pour ce bois. Le cintrage des planches se fait au feu. Le bordé est, d’un côté maintenu au sol par des poids, placés sur un appuis vers le milieu, de façon à ce que la partie à plier se trouve au dessus d’un feu vigoureux. Il faut lester l’autre extrémité du bordé afin que la planche plie naturellement sous l’action de la chaleur et de la vapeur créé par un arrosage constant. Le calfatage se fait au moyen de filasse de chanvre goudronnée.

Autre caractéristique de la construction du bateau: la hauteur des membrures s’arrête au 8e bordé. Les têtes de membrures sont reliées entre elles par un plat-bord sur lequel viennent se fixer une série de jambettes sur lesquels est fixé le bordé de grand-pavois c’est à dire la dernière planche. Cela renforce considérablement la rigidité de l’ensemble.

La construction des scutes” se faisait, soit dans de petits chantiers à l’arrière des dunes soit à même la plage. Des cartes postales de la fin du 19e siècle en témoignent et nous montrent quelques exemples de ces chantiers.

Gréement

Le scute” est équipé de deux mâts. Le grand mât d’une longueur de plus ou moins 13m repose sur un socle solidement fixé sur la planche de quille environ à mi-distance de la longueur du bateau. Il est maintenu en place par un banc encastré qui se trouve à hauteur des têtes de membrures. Le petit mât de misaine est placé en pointe, posé dans une encoche et arrimé solidement à même l’étrave par un filin. Les mâts ne sont pas haubanés sauf un étai partant de la tête du grand mât et venant se fixer à la tête de l’étrave ce qui va poser un problème pour les virements de bord. En tête des 2 mâts: une girouette et un fanion rouge.

Deux voiles carrées complètent l’équipement moteur. Celles-ci sont fixées à deux vergues grées au tiers. La disposition de la grande voile et la présence de l’étai obligeaient les marins, lors d’un changement de bord, d’affaler la voile afin de faire passer celle-ci sous l’étai. Travail pénible quand on sait que les voiles étaient confectionnées en gros tissu de coton souvent gorgé d’eau.

Equipement

Le scute” n’est pas ponté sauf la plage avant et la plage arrière. Sous la plage avant se trouve un petit abri triangulaire de 1,30 m de hauteur, comprenant deux bancs servants parfois de lit, un bac à charbon et un petit réchaud qui tenait le café au chaud, une petite armoire contenant les rations, une lampe à pétrole et quelques bouées. Le creux à ciel ouvert entre la plage avant et le banc de mât sert de remise de filets de pêche, des ancres et autres cordages. La plage arrière comporte principalement les bacs à poissons, un petit caisson qui servait en même temps de banc pour le barreur et contenant les instruments de navigations : un compas et une ligne de sonde à main.

Signalons que le gouvernail dépassant largement le tirant d’eau du bateau, obligeaient les marins à relever ce dernier avant les échouages. Autre équipement important, les deux dérives fixées de chaque côté de la coque. Celles-ci remplacent la quille lorsque le bateau est sous voiles. On descend toujours la dérive qui est sous le vent alors que l’autre est relevée afin d ‘éviter que le bateau ne dérive. Leurs dimensions sont impressionnantes : 4m de long sur 0,80m de large.

Equipage

L’équipage se composait généralement de 5 éléments : le patron, 3 marins-pêcheurs et un mousse (laver” en Flamand). Ce dernier ne devait pas seulement surveiller le réchaud et son café, mais aussi mouiller les voiles pour les rendre plus efficace en augmentant l’étanchéité du coton. Pour ce faire, il disposait d’une longue perche avec à son bout un bois creux pour prendre l’eau. On dit que si le laver” parvenait à mouiller le fanion du grand mât, il avait une chance d’épouser la fille du patron.

 


Le ” Scute ” Flamand Heyst et Blankenberghe

Relevé et Dessiné par G. Remy, architecte à la panne, novembre 1944


B1 Sint-Pieter ( Saint-Pierre)

Il semble que les pêcheurs de Blankenberge étaient très attachés à leurs bateaux. Alors que les Ostendais et les pêcheurs de Nieuport s’équipaient depuis un certain temps déjà de bateaux quillés bien plus maniables, les gens de Blankenberge restaient fidèle à leurs vieilles embarcations. Par dérision, on les surnommait ‘les crapauds’. Le B17 De Vrijheid” fut sans doute le dernier des scutes” à partir en campagne de pêche en 1904.

Auraient-ils pu imaginer, ces pêcheurs de Blankenberge qu’un jour un groupe de bénévoles, d’origines tellement diverses, allait reconstruire à l’ancienne ce bateau atypique, sans moyens financiers au départ, sans connaissance particulière du mode de construction marine de l’époque et en employant les matériaux traditionnels dont l’orme, arbre entre-temps décimé par la maladie.

Contre vents et marées et c’est bien l’expression qui convient ici, sujets aux nombreux quolibets les plus divers et souvent sarcastiques, le projet fut mené à son terme après 7 ans de travail acharné. Le 10 septembre 1999 le B1 Sint-Pieter” était lancé dans le port de Blankenberge sous les yeux émerveillés de milliers de spectateurs et peut être sous le regard de millier de marins-pêcheurs qui au cours des siècles menèrent le scute” de Blankenberge sur les flots des Bancs de Flandre.